Fondée dans les années 1920, LafargeHolcim Maroc est un acteur majeur du secteur des matériaux de construction au Maroc. Approchant bientôt son centenaire, l’entreprise compte environ 1 050 collaborateurs répartis sur l’ensemble du territoire national, de Laâyoune à Nador. Avec dix usines de ciment—sept intégrées et trois centres de broyage—LafargeHolcim Maroc est présente dans divers domaines, notamment le béton, les granulats, les mortiers et les solutions routières. L’entreprise s’engage également dans le développement durable à travers sa filiale Geocycle, spécialisée dans le traitement des déchets.
Dans cette interview, Imane Loubane, Directrice des Ressources Humaines, partage sa vision sur l’impact de l’intelligence artificielle (IA) sur la fonction RH. Comment cette technologie redessine-t-elle les pratiques RH chez LafargeHolcim Maroc ? Quels enjeux éthiques et opérationnels sont soulevés par son déploiement ? Et surtout, comment préparer les équipes à cette transformation sans précédent ? Entre opportunités et défis, cette discussion met en lumière les enjeux concrets de l’IA dans une grande entreprise, tout en ouvrant le débat sur son rôle dans l’avenir du travail et de la gestion des talents.
Quel est l’impact actuel de l’intelligence artificielle sur la fonction RH ?
Imane LOUBANE : L’intelligence artificielle est un sujet qui suscite beaucoup d’intérêt et de discussions au sein de notre entreprise. Actuellement, nous sommes en phase d’exploration et d’intégration progressive de l’IA dans nos processus RH. L’IA a le potentiel de se greffer sur nos systèmes intégrés existants, qui couvrent l’ensemble du cycle de vie du collaborateur, de l’embauche à la sortie, en passant par la formation, la mobilité et la gestion des carrières.
Nous envisageons que l’IA puisse améliorer nos processus en automatisant certains processus, en fournissant des analyses plus approfondies et en facilitant la prise de décision. Par exemple, dans le recrutement, l’IA pourrait aider à identifier les candidats au profil le plus adapté en se basant sur une analyse de données plus poussée. Dans la gestion des talents, elle pourrait nous aider à détecter les collaborateurs à haut potentiel.
Cependant, il est important de souligner que cette intégration est progressive. Il y a une nécessité de préparer nos équipes à cette transition, de les former et de les rassurer sur le fait que l’IA est un outil qui vient en appui, et non en remplacement de l’humain. L’élément humain reste au cœur de notre fonction, notamment en ce qui concerne l’empathie, le relationnel et l’adaptation au contexte, des qualités essentielles que l’IA ne peut pas reproduire.
En somme, l’IA devrait être perçue comme un levier d’amélioration, un moyen d’optimiser nos processus tout en libérant du temps pour nous concentrer sur des missions à plus forte valeur ajoutée. C’est un outil puissant, mais qui doit être utilisé avec discernement et en complémentarité avec l’expertise humaine.
L’humain est centre de l’intégration de l’IA dans vos process. Comment préparez-vous vos collaborateurs à ces changements ?
Imane LOUBANE : La préparation de nos collaborateurs à l’intégration de l’IA est un aspect crucial de notre démarche. Nous constatons qu’il existe une certaine appréhension vis-à-vis de l’IA, ce qui est compréhensible. Les employés peuvent craindre que l’IA remplace leurs postes ou modifie radicalement leurs missions. Notre rôle en tant que direction des ressources humaines est de les accompagner, de les informer et de les rassurer.
Nous avons organisé des sessions de formation et de sensibilisation, notamment en collaboration avec l’IMD en Suisse, pour présenter les avantages de l’IA et discuter de son impact potentiel sur nos métiers. Ces formations visent à démystifier l’IA, à expliquer son fonctionnement et à mettre en lumière les opportunités qu’elle offre. Nous insistons sur le fait que l’IA est un outil puissant qui peut faciliter le travail quotidien, en automatisant des tâches répétitives et en libérant du temps pour des activités à plus forte valeur ajoutée, comme l’analyse stratégique ou le développement des compétences. (je suis la seule à avoir assister à cette formation en tant que DRH avec d’autres DRH du groupe Holcim pour nous donner les moyens d’accompagner les organisations dans cette transformation, donc je pense qu’il est inutile d’en parler)
Il est également important de communiquer de manière transparente sur les limites de l’IA. Nous soulignons que l’IA ne peut pas remplacer les compétences humaines essentielles, telles que l’empathie, l’intelligence émotionnelle ou l’adaptabilité à des situations complexes. En intégrant l’IA, nous cherchons à renforcer la collaboration entre la technologie et l’humain, et non à les opposer.
Les réactions des collaborateurs sont globalement positives lorsque nous prenons le temps d’expliquer et de montrer concrètement comment l’IA peut améliorer leur quotidien. Il s’agit de créer un environnement d’apprentissage continu, où chacun se sent impliqué dans le processus de transformation digitale de l’entreprise.
Quels sont, selon vous, les domaines de la fonction RH qui seront le plus impactés par l’IA ?
Imane LOUBANE : L’IA a le potentiel d’impacter plusieurs domaines de la fonction RH. Dans le recrutement, par exemple, elle peut améliorer le sourcing des candidats en analysant un grand volume de données pour identifier les profils les plus pertinents. Elle peut également automatiser certaines étapes du processus de sélection, comme le tri des CV ou la programmation d’entretiens, ce qui permet aux équipes RH de se concentrer sur l’évaluation qualitative des candidats.
En matière de formation et de développement des compétences, l’IA peut personnaliser les parcours d’apprentissage en fonction des besoins spécifiques de chaque collaborateur, en recommandant des modules adaptés à leurs compétences et à leurs objectifs de carrière. Elle peut également faciliter le suivi et l’évaluation de l’efficacité des formations, en fournissant des analyses détaillées sur les progrès et les résultats obtenus.
La gestion de la performance est un autre domaine où l’IA peut apporter une valeur ajoutée. En analysant les données de performance, l’IA peut fournir des insights plus précis sur les points forts et les axes d’amélioration des collaborateurs, aidant ainsi les managers à prendre des décisions plus éclairées. Elle peut également détecter des tendances ou des problématiques émergentes, permettant une intervention proactive.
Cependant, il est essentiel d’aborder ces évolutions avec prudence, notamment en ce qui concerne le respect de la confidentialité des données et la conformité aux réglementations en vigueur, comme celles de la CNDP au Maroc. L’intégration de l’IA doit se faire de manière éthique et responsable, en assurant la protection des données personnelles et en évitant les biais qui pourraient affecter l’équité des processus RH.
Justement, quelles sont les mesures prises pour assurer la protection des données personnelles dans le cadre de l’utilisation de l’IA ?
Imane LOUBANE : La protection des données personnelles est une priorité pour nous. Nous sommes régis par les réglementations de la CNDP, qui encadrent strictement le traitement des données personnelles au Maroc. Chaque année, nous sommes soumis à des audits pour vérifier notre conformité, et nous nous assurons que toutes nos pratiques respectent ces exigences.
Dans le contexte de l’IA, nous sommes conscients des risques potentiels liés à la sécurité des données. L’IA, en particulier les outils accessibles en ligne comme certains chatbots, peut collecter et traiter des informations sensibles. Nous encourageons l’utilisation de versions sécurisées et professionnelles des outils d’IA, qui offrent de meilleures garanties en matière de confidentialité. De plus, nous travaillons en étroite collaboration avec notre Direction des Systèmes d’Information pour s’assurer que toutes les solutions d’IA intégrées respectent les normes de sécurité et de protection des données.
Il est également important de sensibiliser nos collaborateurs aux bonnes pratiques, notamment en évitant de partager des informations sensibles sur des plateformes non sécurisées. La vigilance est de mise, et nous veillons à ce que chacun soit conscient de ses responsabilités en matière de protection des données.
Pensez-vous que l’IA pourrait conduire à la disparition de certains métiers au sein des RH ?
Imane LOUBANE : C’est une question légitime qui suscite beaucoup de discussions. À mon avis, l’IA ne conduira pas à la disparition des métiers RH, mais plutôt à une évolution de ceux-ci. Certaines tâches, en particulier les plus répétitives ou administratives, pourront être automatisées, ce qui pourrait réduire le volume de travail nécessaire pour ces activités.
Cependant, les compétences humaines, comme l’empathie, le jugement, la négociation et la gestion des relations interpersonnelles, restent irremplaçables. Par exemple, dans le recrutement, si l’IA peut aider à présélectionner des candidats, l’entretien final, l’évaluation de la compatibilité culturelle et la prise de décision finale nécessitent une intervention humaine. De même, la gestion des conflits, le développement organisationnel et la stratégie RH sont des domaines où l’expertise humaine est essentielle. L’IA doit être considérée comme un outil complémentaire qui permet aux professionnels des RH de se concentrer sur des missions à plus forte valeur ajoutée.
En réalité, l’IA offre l’opportunité de redéfinir les rôles et de développer de nouvelles compétences. Les professionnels des RH peuvent ainsi se tourner vers des fonctions plus stratégiques, en s’appuyant sur les données et les analyses fournies par l’IA pour prendre des décisions plus informées.
Quels conseils donneriez-vous aux autres professionnels des RH pour aborder l’intégration de l’IA dans leur fonction ?
Imane LOUBANE : Mon principal conseil serait de ne pas avoir peur de l’IA, mais au contraire de s’y intéresser activement. Il est important de se former, de comprendre les opportunités que l’IA offre et de réfléchir à la manière dont elle peut être intégrée dans les processus RH pour les améliorer.
Il faut adopter une approche proactive en matière de communication avec les collaborateurs, en les informant des changements à venir, en expliquant les bénéfices et en les rassurant sur le fait que l’IA est un outil destiné à les aider, non à les remplacer. La transparence est essentielle pour favoriser l’acceptation et l’engagement de tous.
Il est également crucial de rester vigilant sur les aspects éthiques et légaux, en s’assurant que l’utilisation de l’IA respecte les réglementations en vigueur et les principes de confidentialité et de respect des données personnelles. Collaborer avec les départements informatiques et juridiques peut aider à mettre en place des solutions sécurisées et conformes.
Enfin, il est important de considérer l’IA comme un levier pour attirer et retenir les talents, en particulier les jeunes générations « Digital Native » qui sont nées à l’ère du numérique. En intégrant des technologies innovantes, les entreprises peuvent renforcer leur attractivité et leur compétitivité sur le marché du travail.