72 % des DRH jugent la décision du 9 juin unilatérale et mal adaptée au secteur privé. Six jours avant la date concernée, aucun cadre n’avait été précisé pour les entreprises. Résultat : chacun a dû improviser.
Un défaut de cadre juridique et de concertation
L’annonce d’un jour férié exceptionnel pour le secteur public le lundi 9 juin 2025, au lendemain de l’Aïd Al-Adha, a créé un décalage profond entre logique politique et réalité de gestion des entreprises privées. En théorie, cette décision ne concerne que les administrations et les collectivités locales. En pratique, elle exerce une pression implicite sur les DRH du secteur privé, contraints de réagir dans l’urgence, sans appui institutionnel ni balisage juridique.
Selon l’enquête DRH.MA, une majorité nette des DRH (72 %) perçoit la décision comme unilatérale et déconnectée de leurs contraintes opérationnelles. Loin d’être marginal, ce chiffre exprime une crise de méthode dans la manière dont les annonces gouvernementales à impact RH sont faites. 42 % des répondants pointent directement un manque de considération pour le secteur privé, tandis que 24 % évoquent un manque d’anticipation ou une annonce trop tardive.
Le plus problématique reste l’absence d’instance de dialogue préalable. Contrairement à d’autres pays disposant de comités tripartites ou de chartes de coordination, le Maroc continue à opérer par décrets unilatéraux, sans consultation des représentants patronaux ni syndicaux. Les DRH se retrouvent ainsi en première ligne d’arbitrages sensibles, sans référence commune ni directive clé.
Ce vide organisationnel produit une double tension : d’une part, l’attente forte des collaborateurs à bénéficier d’un repos aligné sur le public ; d’autre part, la responsabilité de maintenir la performance et la cohésion sociale sans balises claires. Le décalage entre perception sociale et réalité juridique génère une instabilité dans les décisions RH et nuit à la lisibilité de l’action managériale.
Une gestion fragmentée, des arbitrages isolés
L’enquête révèle un panorama contrasté des pratiques en entreprise. Seules 17 % des organisations ont accordé le jour férié à tous les collaborateurs, 22 % l’ont fait sous conditions (assurance de continuité, déduction de congés, récupération). 28 % ont maintenu une journée normale de travail, tandis que 32 % n’avaient pas encore statué le 3 juin.
Ce flou décisionnel à six jours de l’échéance traduit un malaise organisationnel profond. Il révèle l’absence de cadre sectoriel, de référence commune ou de bonne pratique partagée. Les DRH, livrés à eux-mêmes, doivent arbitrer entre équité interne, exigence de production et climat social. Certains optent pour un traitement cas par cas, d’autres pour des positions unilatérales, souvent sources de tensions.
Les motifs avancés pour l’attribution du jour férié témoignent d’une recherche d’équilibre : 56 % des entreprises mentionnent l’alignement avec le secteur public, 40 % le climat social, 16 % la tradition religieuse. Mais la réalité de gestion reste contraignante. 50 % des DRH conditionnent l’octroi du jour à une forme de contrepartie (congé ou récupération).
Les entreprises ayant refusé le jour férié avancent des raisons essentiellement opérationnelles. 100 % évoquent des contraintes majeures, 68 % des difficultés de remplacement. L’absentéisme, la surcharge sur les jours précédents ou suivants, et l’impact client sont cités comme des freins critiques. Ce sont donc les exigences de continuité et non les logiques budgétaires qui guident la décision.
Ce morcellement de l’action RH met en péril l’équilibre social. En l’absence d’un cadre commun, chaque entreprise navigue seule. Or, ce traitement isolé amplifie les comparaisons, alimente le sentiment d’iniquité, et fragilise la cohésion interne, notamment dans les groupes multi-sites ou les secteurs en forte tension sociale.
Les DRH demandent un leadership organisationnel plus structurant
Face à cette séquence de gestion improvisée, les DRH expriment une attente forte à l’égard des organisations professionnelles. 85 % souhaitent qu’elles jouent un rôle actif, en amont, pour prévenir de telles situations. 50 % recommandent la mise en place d’accords-cadres permettant d’harmoniser les pratiques du privé en cas de décision gouvernementale unilatérale.
Loin de toute revendication symbolique, les DRH attendent un mécanisme de pilotage : dialogue avec les autorités, élaboration de lignes directrices, transmission rapide de consignes opérationnelles. Le positionnement passif observé dans cette affaire, notamment de la CGEM, est perçu comme un abandon. La recommandation vague « dans la mesure du possible » n’a pas répondu aux besoins de clarté. Elle a amplifié le flou.
Cette situation plaide pour une refonte de la gouvernance sociale autour des jours fériés exceptionnels. Un mécanisme tripartite, composé de l’État, du patronat et des partenaires sociaux, pourrait permettre d’anticiper les impacts, de proposer des alternatives, et de poser un cadre unifié. L’enjeu n’est pas de niveler les calendriers, mais d’offrir aux DRH des outils pour prendre des décisions équilibrées.
Ce que l’épisode du 9 juin révèle, au-delà du cas ponctuel, c’est la fragilité des circuits de coordination entre temps politique et temps managérial. Les DRH ne demandent pas l’alignement automatique, mais la cohérence. Un cap. Une méthode. Une posture de responsabilité partagée.
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