Le gouvernement a annoncé que le lundi 9 juin 2025 serait exceptionnellement férié pour les administrations publiques et les collectivités territoriales, au lendemain de l’Aïd Al-Adha. Si cette décision est bien accueillie dans la fonction publique, elle n’a aucune portée légale pour le secteur privé. Et pourtant, c’est dans les entreprises que les répercussions sont les plus immédiates.
Le calendrier des jours chômés dans le privé est encadré par le Dahir n° 1-77-216 du 4 octobre 1977. Aucun texte ne prévoit d’étendre automatiquement au secteur privé une décision ponctuelle prise pour le public. Le 9 juin 2025 ne fait pas exception : il ne s’agit pas d’un jour férié légal pour les entreprises. Mais en l’absence de clarification officielle, ce sont les DRH qui doivent trancher seuls. Faut-il accorder ce jour ? Le refuser ? Et comment gérer les demandes individuelles sans créer de tensions internes ?
Le sentiment d’injustice se renforce à chaque annonce de ce type. Lorsqu’un jour de repos est accordé au public à l’occasion d’une fête religieuse célébrée par tous, les collaborateurs du privé ne comprennent pas pourquoi ils seraient exclus. La situation crée un déséquilibre difficilement justifiable en entreprise, d’autant plus quand elle survient à quelques jours de l’événement, sans possibilité d’anticipation.
Dans un communiqué, la CGEM a suggéré aux entreprises de considérer le 9 juin comme chômé, “dans la mesure du possible”. Si l’intention était d’apporter de la souplesse, le résultat a été tout autre. Une recommandation vague, sans valeur obligatoire, qui a renforcé l’incertitude et désorienté davantage les entreprises. Les DRH attendaient une prise de position plus ferme : soit une interpellation du gouvernement sur l’impact de cette mesure sur le tissu productif, soit des lignes directrices claires. En s’abstenant de trancher, la CGEM a laissé les entreprises seules face aux arbitrages.
Résultat : certaines entreprises ont décidé d’accorder le jour à titre exceptionnel, en puisant dans les jours de congés ou en acceptant un ralentissement de l’activité. D’autres l’ont refusé, assumant les tensions que cela pouvait générer en interne. Dans les deux cas, la décision repose sur une appréciation isolée, sans cadre harmonisé ni pilotage sectoriel.
Pour les DRH, la charge mentale est lourde. L’annonce du jour férié a déclenché une avalanche de questions : “Sommes-nous concernés ?”, “Mon conjoint fonctionnaire est en congé, pourquoi pas moi ?”, “Est-ce que ce jour peut être posé sans toucher aux congés légaux ?” Face à l’absence de réponse officielle, les RH doivent improviser, tout en évitant les risques de traitement inéquitable ou de démobilisation.
Dans les secteurs industriels, notamment ceux organisés en roulement ou en production continue, l’ajout d’un jour de repos imprévu a des effets bien réels : retards de production, désorganisation des équipes, surcoût opérationnel. Certaines PME, déjà fragilisées par les délais clients ou les contraintes logistiques, peinent à absorber ces décisions tardives qui perturbent leur planification.
Au-delà de l’impact économique, la question centrale est celle de la perception d’équité. La comparaison entre collaborateurs du public et du privé, dans un contexte déjà sensible en matière d’avantages sociaux, alimente le sentiment d’un traitement à deux vitesses. Et dans une entreprise, cette perception peut suffire à affaiblir la cohésion interne.
Ce nouvel épisode relance le débat sur la nécessité d’un cadre de concertation formel entre l’État, le patronat et les syndicats pour toute décision relative aux jours fériés exceptionnels. Un mécanisme tripartite permettrait d’évaluer les impacts, d’en anticiper les effets, et de proposer des règles applicables à l’ensemble des acteurs économiques. Sans cela, chaque décision unilatérale risque de se traduire par une crise de gestion dans les entreprises.
Le 9 juin 2025 devait être une journée de repos symbolique. Il est devenu un révélateur des tensions structurelles entre secteurs, et surtout du besoin urgent de coordination. Pour les DRH, qui ont dû gérer cette situation en urgence et sans appui, c’est une nouvelle alerte. Car au-delà des questions d’agenda, c’est leur rôle d’arbitres du lien social qui se trouve, une fois de plus, mis à l’épreuve.