Le marché du travail marocain fait face à une contradiction persistante : malgré une montée en compétence progressive des jeunes, le chômage reste élevé, atteignant 30 % chez les diplômés, tandis qu’entre 20 et 40 % des emplois urbains sont encore concentrés dans le secteur informel. Cette situation résulte d’une inadéquation flagrante entre les compétences développées par les jeunes dans le système de formation et les besoins réels des entreprises, en particulier dans les secteurs émergents comme la digitalisation, les énergies renouvelables et l’agro-industrie.
La Feuille de route pour l’emploi 2025 ambitionne de remédier à ces déséquilibres en modernisant les cursus de formation professionnelle. L’objectif est double : d’une part, garantir une meilleure adéquation entre les compétences acquises et les exigences des employeurs, et d’autre part, offrir aux jeunes, en particulier les NEETs (ni en éducation, ni en emploi, ni en formation), des parcours adaptés pour une insertion durable. Avec un objectif ambitieux de ramener le chômage à 9 % d’ici 2030 et de créer 1,45 million de nouveaux emplois, la réforme de la formation professionnelle devient un levier stratégique majeur pour assurer la compétitivité économique du pays tout en renforçant l’inclusion sociale.
Un virage stratégique vers l’alternance et l’implication des entreprises
Parmi les actions phares envisagées, la promotion de la formation par alternance occupe une place centrale. Ce modèle d’apprentissage, qui combine théorie académique et expérience pratique en entreprise, constitue un levier puissant pour améliorer l’employabilité des jeunes. En étant directement immergés dans le monde professionnel, les apprenants développent des compétences opérationnelles et comportementales alignées sur les besoins du marché. Cette approche réduit considérablement l’écart entre les attentes des employeurs et les qualifications des jeunes diplômés, tout en renforçant leur capacité d’adaptation face aux mutations économiques.
Cependant, pour que cette dynamique porte ses fruits, l’implication des entreprises dans la conception des cursus est essentielle. Les entreprises, en particulier les Très Petites, Petites et Moyennes Entreprises (TPME), doivent jouer un rôle actif dans l’élaboration des contenus pédagogiques afin de s’assurer que les compétences transmises correspondent aux besoins réels du marché. Cette co-construction des cursus permettrait de limiter l’obsolescence des compétences tout en incitant les entreprises à recruter des jeunes mieux préparés à intégrer leur environnement professionnel. En retour, des incitations fiscales et des mécanismes de soutien peuvent être envisagés pour encourager ces entreprises à accueillir des alternants et à participer activement à la formation de la future main-d’œuvre.
Les Cités des Métiers et des Compétences : un levier de transformation structurelle
Au cœur de cette réforme, les Cités des Métiers et des Compétences (CMC) apparaissent comme un outil stratégique pour moderniser l’offre de formation professionnelle et répondre aux spécificités régionales. Conçues comme des plateformes intégrées de formation et d’innovation, les CMC visent à offrir des cursus professionnalisants, adaptés aux besoins des entreprises locales et des secteurs porteurs. Elles permettent également d’aligner les compétences des jeunes avec les exigences des marchés régionaux, tout en favorisant l’émergence de pôles de compétences spécialisés.
Ces centres joueront un rôle crucial pour renforcer la polycompétence des jeunes, en développant des parcours modulaires combinant des savoirs techniques, des compétences numériques et des soft skills indispensables dans un environnement professionnel en pleine mutation. La réussite de ce dispositif dépendra toutefois de la mise en place d’une gouvernance agile et pilotée par les résultats, garantissant une gestion efficace des ressources et une adaptation continue des cursus aux évolutions du marché.
La formation continue et la reconversion : un impératif pour l’agilité économique
Si la formation initiale constitue un pilier fondamental de la stratégie de modernisation, la formation continue et la reconversion professionnelle ne peuvent être ignorées. Dans un contexte où les mutations technologiques et les transformations économiques redéfinissent constamment les besoins du marché, il est impératif d’offrir des opportunités de perfectionnement et de réorientation aux travailleurs, notamment ceux issus de secteurs en déclin. Les programmes de formation continue, s’ils sont bien structurés, permettent d’accompagner ces transitions et d’assurer une agilité accrue du marché du travail, capable d’absorber les chocs économiques et technologiques.
L’intégration de la formation continue dans les politiques publiques doit s’accompagner de la création d’un fonds dédié au financement de la reconversion et de la montée en compétences. Ce fonds permettrait aux travailleurs de bénéficier de parcours de formation adaptés, renforçant ainsi leur employabilité tout en répondant aux besoins évolutifs des entreprises. La réussite de cette initiative repose également sur un suivi rigoureux des parcours et une évaluation continue des dispositifs mis en place, afin d’ajuster les formations aux réalités économiques et sectorielles.
Construire un écosystème intégré pour une employabilité durable
Pour assurer une transformation efficace du système de formation professionnelle, il est essentiel de consolider l’écosystème formation-emploi en intégrant pleinement les entreprises, les collectivités locales et les institutions éducatives. La mise en place d’un observatoire dynamique des compétences permettrait d’analyser en temps réel les tendances du marché et d’ajuster les cursus de formation en conséquence. Ce dispositif offrirait une vision claire des secteurs en forte demande et des compétences émergentes, garantissant ainsi une meilleure adéquation entre les offres de formation et les besoins du marché.
Par ailleurs, l’instauration d’une culture de l’évaluation et de l’amélioration continue est indispensable pour mesurer l’impact des réformes et ajuster les politiques publiques en fonction des résultats observés. Des mécanismes de suivi rigoureux, intégrant des indicateurs de performance clairs, permettraient de mesurer l’efficacité des initiatives mises en œuvre et d’identifier les ajustements nécessaires pour maximiser leur impact.
Inclusion et diversité : lever les obstacles pour une participation accrue des femmes
L’inclusion des femmes dans le marché du travail demeure un défi majeur pour le Maroc. Les obstacles structurels, tels que l’absence de solutions de garde d’enfants ou des conditions de transport inadaptées, limitent la participation des femmes à l’activité économique. Pour atteindre les objectifs d’équité fixés par la Feuille de route, des mesures spécifiques doivent être mises en place afin de lever ces freins. Le développement de programmes de mentorat féminin et la création de dispositifs de soutien adaptés peuvent encourager une plus grande participation des femmes dans les secteurs porteurs, tout en leur offrant des opportunités de développement professionnel durable.
Enfin, la réussite de cette dynamique inclusive repose également sur la sensibilisation des entreprises à l’importance de la diversité et de l’inclusion. La mise en place d’incitations pour encourager l’embauche de femmes dans les métiers techniques et innovants, combinée à des programmes de mentorat, contribuera à renforcer la présence des femmes dans des secteurs à fort potentiel de croissance.
La modernisation du système de formation professionnelle au Maroc représente une opportunité stratégique pour renforcer l’employabilité des jeunes, améliorer l’inclusion économique et accompagner les mutations du marché du travail. Toutefois, la réussite de cette transformation repose sur une exécution rigoureuse, un suivi dynamique et une implication active des entreprises. En adoptant une approche intégrée et en garantissant une adaptation continue des cursus aux évolutions économiques, le Maroc pourra construire un modèle de formation performant, inclusif et durable, capable de répondre aux défis de demain.