DRH.MA : Comment évaluez-vous les activités de votre entreprise BlueBirds au Maroc et en Afrique ?
Siham SENTISSI : Sur le plan commercial, nous avons commencé notre activité avec le soutien de grands comptes marocains et étrangers. En France, nous travaillons également avec des fonds d’investissement pré ou post acquisition et des ETI, c’est encore peu ou pas le cas au Maroc.
Nous avons surtout un grand travail d’évangélisation. Notre modèle est peu répandu et nous avons l’habitude de dire que nous vendons de la confiance. Il faut du temps pour créer ce lien de confiance, surtout dans une relation à trois : client, indépendant et BlueBirds.
Au Maroc, l’accueil que nous recevons de nos prospects est encourageant, ils montrent un réel intérêt pour des solutions qui en un mot sont plus flexibles et souvent moins chères que le recrutement d’un Directeur ou les services d’un cabinet de conseil à compétences égales
Nous avons une feuille de route bien chargée devant nous : elle commence par nous faire connaître des dirigeants, en allant à leur rencontre et en communiquant davantage. Personnellement, ce sont ces rencontres que je préfère. Il y a tellement de belles choses à faire ensemble.
DRH.ma : Compte tenu des nouveaux développements, y compris de votre nomination au poste de Managing Partner, cela signifie-t-il que les perspectives d’avenir au Maroc sont prometteuses pour BlueBirds ?
Siham SENTISSI : Le modèle du salariat, hérité des précédentes révolutions industrielles et des luttes sociales du XXe siècle est en profonde mutation, sous le double effet de la révolution digitale amorcée déjà depuis plusieurs années et plus récemment accélérée par le COVID.
C’est un nouvel agencement de notre société du travail qui est d’ores et déjà à l’œuvre et qui nous rappelle l’économie à la tâche d’avant le salariat. Aujourd’hui nous sommes entre un retour vers le passé et un changement total de paradigme quant au travail.
Et BlueBirds, la société dont je dirige le bureau à Casablanca, est née justement avec l’avènement des indépendants et ce mouvement mondial qui nous vient des US, où, pour vous donner quelques chiffres qui ont tendance à marquer les esprits quand nous les évoquons, 50% de la force de travail aura testé le freelancing en 2020 contre plus d’un tiers des actifs, en 2016. Ce mouvement a essaimé ensuite au Royaume-Unis, puis en Europe continentale où les indépendants constituent le segment du marché du travail européen qui connaît la croissance la plus rapide avec en premier les allemands (~1,3M d’indépendant), puis en France (~1M d’indépendant avec une augmentation de +90% en 10 ans) c’est là où BlueBirds est née il y a maintenant plus de 6 ans.
Et l’Afrique s’inscrit aussi aujourd’hui dans ce mouvement. C’est pour cela que nous nous y sommes implantés depuis maintenant plus de 2 ans et que je peux assez légitimement dire que nous sommes les premiers sur notre positionnement, celui des indépendants à haute valeur ajoutée.
Les perspectives d’avenir au Maroc sont bien prometteuses pour BlueBirds : nous accompagnons un marché qui est à sa genèse au Maroc et en Afrique, et qui transforme profondément le marché du travail des cadres dirigeants.
DRH.Ma : Vous faites référence à la révolution du travail. Quels sont pour vous aujourd’hui les principaux défis à la poursuite de cette révolution ?
Siham SENTISSI : Le marché du freelancing à haute valeur ajoutée sur lequel nous sommes positionnés répond aux attentes à la fois des entreprises et des cadres supérieurs :
- Les entreprises recherchent de plus en plus l’ultra-compétence pour répondre à des besoins spécifiques à un moment donné ; les solutions existantes (cabinets de conseil, recrutement interne ou externe), ne suffisent plus. Pour vous illustrer mon propos, aujourd’hui un recrutement interne prend en moyenne, 9 mois, un recrutement externe entre 3 mois dans les meilleurs des cas et plus généralement 6 mois, l’appel à un cabinet de conseil plutôt 1 mois, alors que le choix du freelance adapté au besoin précis de l’entreprise peut être fait en quelques jours. Le freelancing permet donc un accès rapide à la compétence experte requise et c’est ce qui contribue à son essor.
- Les cadres supérieurs, de leur côté, ne se sentent plus engagés dans les organisations de plus en plus complexes, et dépourvues de sens des grandes entreprises. Leur passage dans le monde des indépendants correspond avant tout à un choix aspirationnel : être autonome, avoir de meilleures conditions de travail, gagner en flexibilité, décider de leurs projets et de la logistique associée. En gros « tracer sa propre vie » versus ce qui est imposé par une entreprise.
L’indépendant est ainsi un excellent exemple de ce que cette nouvelle approche du travail peut donner. Le premier défi est donc au sein des entreprises. Les indépendants se tiennent à l’avant-garde du nouvel ordre du travail, où la flexibilité, l’adaptabilité et le focus sur les résultats sont la clé ou plutôt la locomotive. En tant que précurseurs, ils peuvent agir comme catalyseurs de la transformation digitale de l’entreprise et des nouveaux modèles de travail. Les freelances sont aujourd’hui à la tête d’une nouvelle façon de penser le travail dans laquelle les organisations deviennent des réseaux ouverts où des écosystèmes de talents travaillent sur projets et selon une organisation temporaire.
Quoiqu’il advienne, nous allons vers un monde du travail avec des évolutions profondes déjà observables mais aussi des questions de fond pas encore résolues. Et c’est là qu’arrive le deuxième défi. En effet, même si le freelancing apporte plus de flexibilité et de liberté, il change totalement le système de protection social qui repose sur le salariat massif. Si le freelancing se développe il faudra repenser totalement le modèle de protection et son financement.
Pour illustrer mon propos, contrairement aux employés qui bénéficient des avantages et la sécurité structurée qu’offre une entreprise, les indépendants sont perçues par la loi comme de petites entreprises. L’indépendant doit choisir son comptable, sa propre sécurité, etc. Aujourd’hui de nombreux indépendants ont le sentiment d’être mal représentés et que leur besoin ne sont pas correctement pris en charge par les gouvernements. Par exemple, même si un indépendant a des revenus stables, il est encore souvent perçu comme instable parce que pas salarié, cette idée fausse fait que même s’il est solvable il aura très souvent du mal à trouver un logement ou un emprunt.
DRH.ma : Quels conseils donneriez-vous aux entreprises qui souhaitent augmenter l’autonomisation de leurs collaborateurs, tout en les rendant plus efficaces ?
Siham SENTISSI : Le freelancing n’est pas une simple tendance ! C’est un phénomène qui est là pour rester. Travailler en tant qu’indépendant est un choix conscient. Je ne prends pas trop de risques en disant que les entreprises devront créer des environnements où les personnes peuvent s’épanouir et mettre leurs talents à profit dans des équipes flexibles. Mon premier conseil serait donc de redonner du sens au travail et mettre la motivation au cœur. Les bureaux vont progressivement devenir des lieux de sociabilisation. Ce qu’a révélé le freelancing c’est que le contrôle coûte de l’argent à l’entreprise alors que la confiance et l’autonomie permettent aux personnes d’agir plus rapidement et faire les bons choix pour l’entreprise.