STELLANTIS est un acteur majeur du secteur automobile, né de la fusion entre PSA (Peugeot, Citroën, DS, Opel) et FCA (Fiat Chrysler Automobiles). Au Maroc, l’entreprise s’est fortement développée depuis 2017 avec une pluralité d’activités : manufacturing avec l’usine de Kénitra, un pôle de services partagés (paie, administration du personnel), le siège de la région Moyen-Orient Afrique, ainsi que les activités de gestion et distribution commerciale de nos marques. Plus récemment, le Groupe Stellantis a racheté le réseau de distribution Sopriam, en tant qu’entité indépendante. En complément, le Maroc compte le premier centre de Recherche & Développement (R&D) automobile en Afrique avec l’Africa Technical Center et plus récemment en 2021 la création d’une entité SoftwareX orientée nouvelles technologies (IA, Data, Digital, CyberSécurité, Software embarqués…) et de développement automobile.
L’Africa Technical Center et le Software Center emploient aujourd’hui plus de 1 000 collaborateurs, avec une moyenne d’âge d’environ de 35 ans et une présence féminine significative, autour de 40 %. L’équipe RH, composée d’une quinzaine de personnes, est au cœur de la dynamique sociale, garantissant un environnement de travail propice à l’innovation, à la croissance et à la diversité des profils, incluant des ingénieurs expérimentés et de jeunes diplômés.
Au sein de cette structure, les entretiens annuels occupent une place centrale dans la politique de gestion des talents. Ils constituent un moment clé du cycle de talent management de STELLANTIS, permettant aux collaborateurs et à leurs managers d’évaluer les performances, d’envisager des évolutions de carrière et de fixer de nouveaux objectifs.
Dans cet entretien, Line TRIQUI, Directrice des Ressources Humaines du site de Casablanca, nous éclaire sur la manière dont STELLANTIS aborde ces entretiens, l’importance d’une préparation rigoureuse, l’intégration d’outils digitaux, l’implication managériale, le lien entre performance individuelle et collective, ainsi que la gestion des différentes générations de collaborateurs, notamment la Génération Z.
Les entretiens annuels sont présentés comme un moment clé de la gestion des talents. Pouvez-vous nous expliquer précisément leur rôle et leur place dans le cycle global du talent management chez STELLANTIS ?
Line TRIQUI : Les entretiens annuels occupent une fonction centrale dans le cycle de talent management chez STELLANTIS. Ils s’inscrivent dans un processus complet et structuré qui vise à évaluer la performance de l’année écoulée, à fixer des objectifs pour l’année à venir, et à inscrire chaque collaborateur dans une trajectoire de développement. Ce cycle est segmenté en plusieurs étapes clés, chacune dédiée à une dimension particulière de la relation entre le collaborateur, le manager et l’organisation.
Tout d’abord, en début d’année, nous procédons à l’évaluation des objectifs fixés l’année précédente. Cette évaluation repose sur des critères objectifs, mesurables et temporellement définis. Le collaborateur fournit dans un premier temps une auto-évaluation, mettant en avant ses réalisations, ses prises d’initiative, les difficultés rencontrées et la manière dont il y a fait face. Ce travail préparatoire facilite un dialogue constructif avec le manager, qui apporte son point de vue, valide ou ajuste l’analyse et clarifie la notation. L’objectif est d’éviter la subjectivité, en se fondant sur des éléments factuels.
Parallèlement, l’entretien annuel sert à définir les objectifs de l’année en cours, dont le caractère « SMART » (spécifiques, mesurables, ambitieux, réalistes, temporels) garantit une meilleure lisibilité et une équité dans l’évaluation ultérieure. Ce cadre clair limite les incompréhensions et alimente une culture de la performance partagée.
En plus de l’évaluation de la performance, l’entretien annuel intègre des discussions sur les aspirations de mobilité, la construction de plans de carrière et l’identification des besoins en formation. Une fois les données recueillies, des revues de talents plus approfondies sont menées entre managers et RH, afin d’envisager le développement du collaborateur sur un horizon de plusieurs années. Ainsi, le bilan annuel s’articule avec des revues transversales permettant de dessiner une véritable feuille de route individuelle : identification des compétences à renforcer, mise en place de formations ciblées, coaching, mentoring ou opportunités de mobilité. L’entretien annuel n’est donc pas un simple passage obligé, c’est le point de départ d’une gestion durable et dynamique des talents.
Comment préparez-vous en amont ces entretiens annuels, tant du côté des managers que des collaborateurs, afin de garantir leur pertinence et leur efficacité ?
Line TRIQUI : La préparation en amont des entretiens annuels est une étape cruciale pour garantir leur valeur et leur fluidité. Chez STELLANTIS, nous ne laissons rien au hasard. Déjà, dès la fin de l’année précédente, nous commençons à sensibiliser les managers aux enjeux, aux méthodes et aux bonnes pratiques. Par le biais de cascades d’information lors de comités de direction internes, d’hebdomadaires RH et de réunions dédiées, nous partageons les guidelines, rappelons l’importance de la préparation et incitons chacun à anticiper.
Cette anticipation passe par une communication interne ciblée, incluant des kick-off meetings dédiés, des supports pédagogiques (slides, tutos, captures d’écran de l’outil HR) et des e-mails détaillant le calendrier, le rôle de chacun et les étapes du process. Les HR Business Partners jouent également un rôle clé : ils travaillent en proximité avec les managers, veillant à ce que ceux-ci comprennent les critères d’évaluation, maîtrisent l’outil, et sachent comment préparer un entretien de qualité. De leur côté, les collaborateurs sont encouragés à rassembler en décembre déjà leurs réalisations, à mettre en avant leurs succès, leurs prises d’initiative, leurs difficultés surmontées. L’idée est qu’au moment où l’entretien commence, chacun soit en mesure de présenter des faits concrets.
L’outil numérique que nous utilisons, unique et intégré, simplifie grandement cette préparation. Il permet de fixer, suivre, puis évaluer les objectifs individuels. Grâce à cet outil, les managers peuvent extraire des rapports, visualiser la progression de leurs équipes et mieux organiser leur temps. Les collaborateurs y accèdent pour effectuer leur auto-évaluation, préparant ainsi un échange enrichissant et basé sur des éléments factuels.
Cette phase préparatoire vise un double objectif : d’une part, limiter la subjectivité pour aboutir à une évaluation juste et équitable ; d’autre part, fluidifier le déroulement de l’entretien, éviter l’improvisation et permettre un échange constructif, tourné vers l’amélioration continue et la progression de chaque individu. Lorsque le mois de janvier débute, chacun sait ce qui est attendu de lui, ce qui assure une meilleure qualité d’ensemble de la démarche.
Vous avez mentionné le télétravail et les contraintes opérationnelles. Comment veillez-vous au bon déroulement de l’entretien annuel lorsque les équipes ne sont pas toujours sur site ? Préconisez-vous un format particulier (présentiel, visio) ?
Line TRIQUI : Au sein de STELLANTIS, le télétravail est largement répandu, avec un schéma opérationnel comprenant en moyenne deux jours sur site et trois jours à distance (en l’état actuel des choses). Cela constitue un défi logistique pour les entretiens annuels, mais nous avons mis en place des recommandations claires pour préserver leur qualité, indépendamment du mode de travail.
Notre première préconisation est de privilégier autant que possible un entretien en présentiel. Le face-à-face reste le format idéal pour instaurer un climat de confiance, permettre une communication non verbale plus riche, et donner au collaborateur ce sentiment de reconnaissance et d’intérêt sincère. Toutefois, nous ne sommes pas rigides. Si les contraintes sont fortes, que le collaborateur ou le manager est en déplacement, occupé sur une piste d’essai ou en mission à l’étranger, l’entretien peut se dérouler à distance, via une visioconférence. Dans ce cas, nous insistons pour que la caméra soit allumée, afin de maintenir une interaction visuelle qui humanise l’échange.
Quelle que soit la modalité choisie, nous demandons aux managers d’accorder un temps suffisant, d’au moins une heure, afin de couvrir tous les points importants : bilan de l’année, fixation des nouveaux objectifs, feedback constructif. Il est essentiel d’éviter les entretiens « bâclés », menés en 10 minutes entre deux réunions. Les managers sont invités à anticiper, à réserver un créneau dédié dans leur agenda, et les collaborateurs à se montrer proactifs, en prenant l’initiative d’organiser l’entretien assez tôt dans le calendrier.
De plus, nous encourageons une forme de « continuous feedback » tout au long de l’année. L’entretien annuel ne doit pas être le premier moment où le collaborateur entend parler de ses points à améliorer. Les échanges réguliers, même informels, réduisent les effets de surprise et facilitent une évaluation plus sereine. Ainsi, même en mode hybride, le respect du temps, la qualité de l’échange et l’engagement mutuel garantissent la pertinence et l’efficacité de l’exercice.
Vous avez souligné l’importance d’objectifs « SMART » et la recherche d’équité. Comment garantissez-vous la cohérence des évaluations, notamment lorsque différents collaborateurs occupent des postes similaires ou que les performances collectives varient ?
Line TRIQUI : La cohérence et l’équité dans l’évaluation sont des préoccupations centrales chez STELLANTIS. Les entretiens annuels s’appuient sur des objectifs fixés en début d’année, définis selon la méthode SMART. Cette approche permet d’assurer une clarté maximale : un objectif doit être spécifique, mesurable, ambitieux, réaliste et inscrit dans une temporalité claire. Plus les objectifs sont explicites et factuels, moins il y a de place pour l’arbitraire ou la subjectivité. Par exemple, au lieu de se contenter d’un vague « améliorer la qualité du livrable », on optera pour « livrer le projet X d’ici fin juin, sans dépassement de budget, avec un taux de satisfaction client supérieur à 90 % ».
Pour évaluer équitablement des collaborateurs ayant des responsabilités comparables, le manager doit prendre en compte le niveau de complexité des projets, le degré d’implication, la proactivité démontrée et la capacité à gérer les imprévus. Les faits, tels que la tenue des délais, la qualité des livrables, l’aptitude à surmonter les difficultés opérationnelles, servent de références communes. De plus, nous encourageons les managers à adopter une vision comparée, non pas pour faire de la compétition interne, mais pour positionner chaque collaborateur au regard des attendus et standards du poste.
En outre, il est important de souligner que chez STELLANTIS, la performance individuelle ne peut être isolée du contexte collectif. Si un collaborateur a parfaitement rempli ses missions, mais que le résultat global du projet ou de l’équipe a été entravé par des contraintes externes, nous reconnaissons malgré tout la qualité de sa contribution individuelle. À l’inverse, un contexte d’équipe très performant n’excusera pas une contribution individuelle insuffisante.
Enfin, pour maintenir cette cohérence, l’entreprise mise sur la qualité du management. Cela implique un certain « courage managérial ».
Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par « Courage Managérial » et pourquoi c’est important dans la conduite des entretiens annuels ?
Line TRIQUI : Le « courage managérial » se manifeste principalement dans la capacité d’un manager à faire face aux situations délicates. Dans le cadre des entretiens annuels, cela signifie savoir dire les choses telles qu’elles sont, sans complaisance ni brutalité, et ne pas hésiter à reconnaître les insuffisances ou les échecs, même s’il est plus confortable d’édulcorer la réalité. Il s’agit donc d’oser nommer les performances réelles, positives ou négatives, plutôt que de s’abriter derrière des justifications ou des excuses.
Par exemple, un manager peut se plaindre tout au long de l’année qu’un collaborateur ne fait pas le travail attendu, impactant ainsi la performance de l’équipe. Pourtant, au moment de l’évaluation, il pourrait être tenté de l’évaluer sur une performance moyenne, évitant de lui attribuer un statut de sous-performance, de peur de le démotiver davantage ou de rendre plus difficile sa mobilité interne. Ce manque de franchise nuit finalement à l’entreprise, au collaborateur qui ne comprend pas pourquoi on ne l’aide pas à progresser, et à la crédibilité du manager lui-même.
Le courage managérial implique donc d’assumer pleinement son rôle de leader, en fixant des objectifs clairs, en donnant un feedback continu tout au long de l’année, et en rappelant les attentes de manière ferme mais respectueuse. Le manager doit être exigeant, non par dureté, mais par respect envers la capacité du collaborateur à évoluer.
Une fois les entretiens réalisés et les données collectées, quelles actions sont mises en place pour accompagner les collaborateurs, notamment en matière de formation, de mobilité ou de reconnaissance financière ?
Line TRIQUI : Une fois la campagne des entretiens annuels clôturée, nous disposons d’une vision globale des performances, des aspirations individuelles et des besoins de développement. Cette cartographie de talents alimente directement plusieurs chantiers RH. Le premier concerne la formation : en fonction des écarts identifiés entre les compétences attendues et celles effectivement maîtrisées, nous proposons des plans de développement sur mesure, incluant formations techniques, soft skills, coaching ou mentoring. Ainsi, chaque collaborateur peut renforcer son employabilité interne, progresser dans ses missions et se préparer à de futures responsabilités.
La mobilité interne est également un levier important. L’entretien annuel permet d’identifier des profils à haut potentiel, des personnes prêtes à évoluer vers de nouvelles fonctions ou de nouveaux projets, en local ou à l’international. Le talent review, l’une des étapes suivantes du cycle, consiste pour les RH et les managers à dresser un plan de succession, de rotation des postes et de promotions sur le court/moyen/long terme.
Sur le plan financier, les résultats individuels et collectifs sont intégrés au calcul des bonus et primes. Nous avons des bonus annuels dont une partie dépend des performances globales du groupe, une seconde partie dépend des résultats de la région ou de l’entité/division, tandis qu’une troisième est liée aux objectifs individuels. Ainsi, un collaborateur sur-performant est récompensé, ce qui contribue à instaurer un système méritocratique sain. Les entretiens annuels ne sont donc pas seulement un exercice formel, ils ont des conséquences concrètes sur la reconnaissance, la valorisation et la fidélisation des talents.
On parle de plus en plus de la « Génération Z » et son rapport particulier au monde du travail. Comment réagit-elle à l’exercice de l’entretien annuel et comment adaptez-vous votre approche pour répondre à ses attentes ?
Line TRIQUI : La Génération Z, très présente au sein de STELLANTIS compte tenu de notre moyenne d’âge (35 ans) et de notre politique de recrutement, aborde l’entretien annuel avec des codes différents. Ces jeunes collaborateurs, souvent issus d’écoles d’ingénieurs partenaires, attendent davantage de sens, de transparence et de feedback continu. Contrairement aux générations antérieures, ils n’hésitent pas à solliciter leurs managers pour obtenir des retours réguliers, sans attendre le rendez-vous annuel.
Pour accompagner cette population, le manager doit adapter sa posture. Le management traditionnel, plus vertical et directif, a moins d’impact sur la Génération Z, qui exige de comprendre le « pourquoi » derrière chaque objectif. Donner du sens, expliquer les choix et les critères, évoquer le contexte global de l’entreprise, sont des éléments clés pour gagner leur adhésion. Ils ne se contentent plus d’un « c’est comme ça » ; ils veulent être convaincus, impliqués et responsabilisés.
Par ailleurs, la Génération Z valorise grandement la reconnaissance de ses efforts. S’ils perçoivent une incohérence entre leur investissement et l’évaluation reçue, ils n’hésiteront pas à le faire savoir. C’est une bonne chose, car cela incite le manager à être encore plus clair et factuel dans ses retours. Les objectifs SMART, la mise en avant des résultats concrets, les discussions fréquentes sur l’avancement des projets deviennent des armes redoutables pour instaurer un climat de confiance.