Les ressources sont généralement un élément autour duquel sont basées de nombreuses disciplines liées aux affaires et à la gestion. En économie et autres, cela était toujours la norme ; développer des moyens d’extraire le plus de valeur de ces ressources de la manière la plus efficace possible. S’il existe naturellement plusieurs types de ressources, elles peuvent néanmoins être classées soit comme finies et infinies ; renouvelables. Il est très rare qu’une discipline orientée vers le management traite des ressources infinies ; le management est en effet l’art (ou la science) de gérer des ressources finies. Cependant, dans ce contexte, aujourd’hui, il y a plus de facteurs à considérer que l’extraction de valeur.
Il est intéressant de considérer la gestion des ressources humaines sous ce prisme, puisqu’elle contraste avec d’autres formes de management. Le focus des RH est la gestion des ressources sensibles ; un capital humain. La récente transformation de la fonction RH est une évolution de l’approche des services RH en matière de gestion et de développement. L’avènement de paradigmes tels que la gestion des talents et la stratégie révèlent les variables changeantes dont les RH doivent désormais tenir compte. Le processus du responsable RH est devenu similaire à celui d’un responsable commercial ou financier dans le sens où ils sont censés créer des méthodes pour générer de meilleurs résultats. Compte tenu des nombreuses transformations que le marché du travail et l’économie mondiale ont connues au cours des deux dernières décennies, cela a également changé la relation entre les entreprises et les candidats.
L’avènement de l’entreprise moderne, davantage basé sur la propriété intellectuelle et les connaissances, a fait du talent une ressource plus recherchée. Auparavant, les organisations pouvaient embaucher depuis un vivier abondant de candidats, elles sont désormais amenées à concurrencer pour l’attraction, la rétention, et le développement des talents, ainsi que pour étendre les compétences de l’entreprise. L’idée que les employés (le capital humain) constituent la clé du succès des organisations n’a été pleinement réalisée qu’aujourd’hui, car il n’est plus question de productivité, mais plutôt de contribution à la valeur. La méthodologie de recrutement est désormais plus similaire à une transaction entre le candidat et l’employeur. Les ressources humaines ont peut-être été considérées comme abondantes ou infinies, mais cela a changé.
Dans ce contexte, il faut considérer le développement historique du fonctionnement des organisations. La création de valeur, dans le cadre d’une stratégie business globale, n’a jamais vraiment été le point fort des RH ; les légalités, l’administration, la conformité entre autres, étaient leurs principales fonctions. Selon le secteur d’activité, au moins 35 pour cent des dépenses d’une entreprise peuvent être liées au personnel. La concurrence accrue des marchés, et la transformation des modes de création de valeur pour l’entreprise (financière ou en influence sur l’industrie), exigent un focus sur le développement plutôt que la productivité. L’importance accrue des services RH dépend de la transformation du statut des candidats et talents (et vice versa).
Les talents deviennent de plus en plus recherchés, au point que, certains plus que d’autres en fonction de la compétence, du domaine d’expertise et d’autres variables, les candidats peuvent désormais établir (voire imposer) leurs propres conditions en négociant les termes du contrat de travail. Ce mode de gestion est plus propice à la gestion des ressources non-renouvelables. Mais, à vrai dire, les ressources humaines sont-elles vraiment finies ? Les employés compétents sont rares et difficiles à trouver et à retenir, mais à peine limités. Des étudiants obtiennent leurs diplômes chaque année dans toutes les spécialités imaginables ; de jeunes professionnels rejoignent le marché d’emploi chaque année, et il y a statistiquement plus de candidats à la recherche d’un emploi que de postes vacants. Ce qui manque, ce sont les compétences et les talents. C’est le paysage qui a changé, il ne nécessite plus de grandes équipes et de nombreux départements, mais une rationalisation plutôt efficace, et une connaissance approfondie.
Dans un article récemment publié par Claudio Fernandez Aràoz, auteur et conférencier sur le leadership et le management, intitulé à juste titre Now is an Unprecedented Opportunity to Hire Great Talent, il établit un parallèle intéressant entre les méthodes innovantes contemporaines de recrutement et de rétention des talents, et les débuts de Hewlett-Packard. Comme il l’écrit, « L’activité était faible, et la situation financière était tendue. Au moment où des légions de grands ingénieurs quittaient les laboratoires militaires américains qui fermaient, les fondateurs de HP se sont rendu compte qu’ils ne pouvaient pas passer à côté d’une opportunité d’embauche aussi incroyable. Lorsqu’on leur a demandé comment pouvaient-ils se permettre d’embaucher de nouvelles personnes pendant ces années difficiles, leur réponse a été simple : « Comment pourrions-nous nous permettre de ne pas le faire ! »
Aràoz cite, dans son article, l’importance des talents, en tant que principaux moteurs de l’organisation et créateurs de son succès ; presque une garantie du succès. Comme il l’écrit : « Tandis que la plupart d’entre nous deviennent myopes et irrationnels pendant les crises, les meilleurs dirigeants et organisations restent calmes et les utilisent à leur avantage. Ils font appel à des architectes pour édifier le nouveau bâtiment alors même que les pompiers travaillent pour sauver l’ancien. ».
La guerre des talents, ainsi que son récent développement durant la pandémie du Covid, s’est développée de pair avec la création de la société basée sur la propriété intellectuelle/industrielle (Knowledge holding company). Cette période, toujours hantée par la pandémie, a été marquée par des réductions d’effectifs, des pertes d’emplois, des difficultés économiques, une crise du recrutement et l’endommagement de plusieurs secteurs et économies nationales. Il semble difficile de croire que les organisations recherchent activement des talents. En fait, ces conditions ont exacerbé le besoin accru des talents, et d’un avantage concurrentiel. Selon The Economist, au cours de la dernière décennie, le pourcentage de PDG préoccupés par la pénurie d’employés qualifiés est passé de la moitié aux quatre cinquièmes (de 50 à 80 %), et le recrutement externe pour les seniors a également augmenté (l’activité des grandes entreprises de recherche de cadres est passée de 9 à 15 pour cent l’année dernière).
Le monde des affaires d’aujourd’hui est devenu plus volatile et diversifié. Les crises financières, les bouleversements des secteurs ou d’industries locales sont devenus beaucoup plus fréquents. La pandémie en particulier a servi de catalyseur aux transformations dont les entreprises avaient besoin. Bien qu’il s’agisse d’un processus continu, il produit des effets visibles depuis quelques années. Il reste encore plusieurs aspects à développer et à approfondir, sur la nature du capital humain, des talents professionnels, et leur potentiel. Le fait que leur importance soit devenue plus évidente illustre la croissance d’un nouveau paradigme de création de valeur.