Si cela apparaît comme une évolution très positive et prometteuse tant pour les organisations que pour les professionnels, ce modèle souffre encore de faiblesses structurelles. Cela ne veut pas dire que c’est plus négatif que positif, mais relativement récent (compte tenu de l’importance des travailleurs indépendants et des plateformes aujourd’hui). Les opportunités qu’une carrière sans frontières peut créer sont énormes, mais cela enlève également un cheminement de carrière plus direct, des opportunités d’apprentissage et de développement, ainsi que la stabilité. L’avènement de carrières sans frontières est révélateur de la transformation qu’ont connu la réalité organisationnelle et les attentes des travailleurs
Pour bien définir ce concept de carrière sans frontières, il faut d’abord définir la carrière elle-même ; une notion qui a beaucoup changé au cours des dernières décennies. Tandis que les entreprises étaient autrefois considérées comme des refuges pour l’emploi, il était plus pratique pour un employé de travailler pour la même organisation tout au long de sa carrière, bénéficiant des avantages sociaux, la sécurité d’emploi et une stabilité financière, gravissant les échelons de l’entreprise jusqu’à la retraite. Ce paradigme est encore quelque peu significatif aujourd’hui même si l’environnement et le modèle de travail contemporains sont radicalement différents. Les organisations visent toujours une plus grande rétention des talents et une limitation du turnover, mais dans l’ensemble, les travailleurs d’aujourd’hui ont de différentes priorités.
Une carrière sans frontières fait référence à un mode de travail dans lequel un employé peut collaborer avec différentes organisations, sur plusieurs projets, pour des périodes variables. Il existe plusieurs modes associés au travail sans frontières ; freelance, plateforme, contrats zéro heure, atypique…etc. L’essence de celui-ci est de ne pas être limité à une ligne ou à un mode de travail particulier, et de ne pas être lié à une organisation particulière. La croissance de ce modèle est en grande partie due aux effets du télétravail sur les attentes des employés, et la préférence pour des arrangements plus flexibles par les jeunes générations de travailleurs, qui constituent désormais une part de plus en plus importante de la main-d’œuvre globale.
Dans l’ensemble, la perspective d’une carrière sans frontières, dans laquelle un professionnel peut relever un large éventail de défis, occuper de différents postes et rassembler des informations sur plusieurs types de processus et d’organisations, est logique surtout en regard des nouvelles préférences des travailleurs, et ce qui manquait auparavant dans le lieu de travail. Le nouveau paysage est plus enclin aux modes de travail expérimentaux.
Le penseur et auteur britannique Charles Handy est crédité d’avoir prédit ce changement radical de la réalité et de la structure organisationnelles. L’une de ses théories les plus renommées est l’organisation Shamrock (ou l’organisation à trois feuilles). Ce concept désigne une organisation (généralement une société) qui est composée de trois types de main-d’œuvre. Le premier en est la fonction principale de l’entreprise. Ce sont des équipes indispensables qui dirigent l’entreprise (principalement identifiables comme des cadres dirigeants et des chefs de projet). Le deuxième feuillet est constitué d’une frange contractuelle ; les employés qui ont déjà travaillé pour l’entreprise et qui lui fournissent actuellement des services ; les indépendants, les personnes qui sont embauchées projet par projet. En termes simples, une main-d’œuvre décentralisée. La troisième main-d’œuvre se compose principalement de travailleurs ou de départements sous-traités ; fonctions non essentielles ou saisonnières.
Le modèle de Handy est peut-être différent de la structure organisationnelle de la plupart des entreprises aujourd’hui, mais il fait écho à certaines organisations expérimentales. Cela sonne une cloche quant à ce que pourrait être l’avenir de nombreuses entreprises. D’un point de vue organisationnel, les aspects négatifs de tels modèles deviennent plus lucides. La mobilité inter-organisationnelle est certainement plus recherchée, mais vu la manière dont elle se manifeste dans le monde de l’entreprise, les carrières sans frontières semblent n’avoir aucun filet de sécurité. Les véritables implications d’une telle carrière peuvent être à la fois un degré d’autonomie et de mobilité pour le travailleur, mais aussi moins d’avantages. L’affaiblissement des liens entre les entreprises et les salariés, et l’avènement d’une dynamique de pouvoir plus ou moins équilibrée entre candidats et employeurs, peuvent aller dans les deux sens. En tant qu’évolution résultant de la transformation du paysage économique, elle soulève encore des questions sur sa durabilité.
Pour les jeunes générations, les nouvelles compétences et domaines d’expertise portent leurs propres perspectives et attentes de carrière. Cela se manifeste sur le marché du travail lui-même, alors que de nouveaux modèles sont développés pour répondre aux demandes changeantes des travailleurs. Outre les nombreuses implications que posent les carrières sans frontières et les modalités de travail flexibles, de tels développements offrent un aperçu du courant des innovations possibles sur le lieu de travail.