Depuis que Kevin Ellis, PDG sortant de PwC, a déclaré que les jeunes de la « génération Z » devraient travailler plus souvent au bureau pour « prendre de l’avance » à l’ère de l’IA, le débat sur l’avenir du travail s’est ravivé. Dans le même temps, un sondage mondial révèle que deux tiers des dirigeants prédisent un retour à la semaine de cinq jours au bureau d’ici trois ans. Pourtant, dans un contexte où l’intelligence artificielle prend de l’ampleur, obligeant les entreprises à automatiser de nombreuses tâches, les jeunes collaborateurs n’hésitent pas à remettre en question ces injonctions. Plus que jamais, il est crucial de comprendre leurs motivations et leurs besoins pour éviter une fuite des talents et, au contraire, les aider à s’épanouir et à progresser.
Le paradoxe du retour au bureau à l’ère de l’IA
L’automatisation n’est plus de la science-fiction : 42 % des grandes entreprises au Royaume-Uni, comme dans bien d’autres pays, ont déjà intégré l’IA ces douze derniers mois pour automatiser certains processus. Dans de nombreux secteurs, notamment la finance, le juridique ou l’informatique, des algorithmes traitent désormais des tâches qui revenaient auparavant aux plus jeunes recrues. Face à ce mouvement, des responsables considèrent que le retour en présentiel total est la meilleure manière de garantir le développement de ces collaborateurs juniors, jugeant qu’ils s’imprégneront mieux de la culture d’entreprise, bénéficieront d’un mentorat spontané et acquerront des compétences « non automatisables » s’ils sont physiquement entourés de leurs pairs et de leurs aînés.
Mais cette position soulève deux questions majeures : d’une part, la génération Z, née à partir de 1997, cultive une forte appétence pour la flexibilité et le travail hybride. D’autre part, elle exprime davantage d’anxiété liée à l’IA (52 % de Gen Z inquiets, contre 45 % des Millennials et 33 % de la Gen X), de sorte qu’elle a besoin de perspectives claires sur la manière dont les entreprises entendent la soutenir dans ce nouveau contexte technologique.
Les priorités de la génération Z
Pour mieux cerner les enjeux, il faut d’abord comprendre ce que la génération Z valorise dans son environnement professionnel :
- La flexibilité : habitués à une hyperconnectivité, ces jeunes talents considèrent que le travail n’a pas forcément besoin d’un cadre strictement physique. L’important pour eux est de disposer d’une autonomie leur permettant de mener de front vie personnelle et obligations professionnelles.
- La progression de carrière : les Génération Z attendent des voies d’évolution rapides et tangibles. 76 % d’entre eux estiment que l’accès à des formations et à des parcours de développement est essentiel à leur ascension.
- L’apprentissage continu : les données issues de LinkedIn montrent que les Gen Z passent plus de temps que les autres générations à suivre des formations en ligne. Curieux et soucieux de s’adapter, ils recherchent activement l’opportunité d’acquérir de nouvelles compétences, notamment dans les domaines du numérique et de l’intelligence artificielle.
- Un management de proximité : contrairement aux clichés dépeignant les Gen Z comme rebelles à toute forme d’autorité, ils réclament un encadrement bienveillant, des retours réguliers (feedback instantané) et des managers capables de les guider concrètement.
- Un sens collectif et des valeurs partagées : qu’il s’agisse de diversité, d’inclusion ou d’impact sociétal, cette génération accorde une grande importance à la dimension éthique de l’entreprise.
Retour au bureau : les risques d’une contrainte mal calibrée
Imposer un retour strict à cinq jours sur site peut engendrer plusieurs écueils :
- Baisse de la satisfaction : Privée de flexibilité, la génération Z risque de voir cette politique comme un manque de confiance, ce qui peut engendrer frustration et sentiment de contrôle excessif.
- Départ prématuré : Les études montrent que si une entreprise ne répond pas aux attentes de développement et d’autonomie des jeunes recrues, elles n’hésitent pas à changer d’employeur.
- Perte de créativité : Le télétravail ou les formules hybrides offrent souvent des plages de concentration propices à l’apprentissage en ligne, à la recherche de solutions innovantes et à un meilleur équilibre de vie, facteurs cruciaux de créativité et d’efficacité.
Vers une politique hybride et formatrice
Pour retenir les Gen Z et favoriser leur progression, les entreprises gagnent à élaborer une stratégie nuancée :
- Miser sur une flexibilité intelligente : plutôt que d’exiger une présence à 100 %, proposer un modèle hybride qui incite les collaborateurs à se réunir sur site pour des séances de brainstorming, des ateliers de résolution de problèmes ou des formations en présentiel. Les temps de travail à distance restent possibles pour des tâches nécessitant davantage de concentration individuelle ou pour répondre à des impératifs personnels.
- Instaurer des objectifs basés sur les résultats : au lieu de se focaliser sur le présentéisme, évaluer les employés sur les accomplissements, la qualité du travail et la collaboration effective.
- Investir dans la formation et l’upskilling : offrir des cursus en e-learning, des certifications et des ateliers pratiques pour aider les jeunes à monter en compétences, notamment dans les métiers liés à l’IA. Cette approche bénéficie autant à l’entreprise (en termes de compétitivité) qu’au collaborateur, qui se sent valorisé et mieux protégé face à l’automatisation.
- Favoriser le mentorat : mettre en place des programmes de mentorat formels, où des seniors peuvent accompagner des juniors. Les échanges intergénérationnels renforcent la cohésion et permettent une transmission de savoir-faire qui ne peut s’opérer qu’avec un certain degré de proximité (en physique ou en virtuel).
- Promouvoir la culture du feedback continu : la génération Z souhaite évoluer rapidement et a besoin de retours fréquents et constructifs. Dans un contexte hybride, des outils digitaux de communication (messageries instantanées, plateformes collaboratives) permettent de maintenir le lien, tandis que des points réguliers en présentiel consolident l’esprit d’équipe.
La grande question demeure : faut-il ou non exiger le retour massif des jeunes talents au bureau ? La réponse, comme toujours, se situe probablement entre les deux extrêmes. Si le télétravail à plein temps peut isoler certains profils en début de carrière, un mode purement présentiel peut être perçu comme un frein à l’autonomie et un déni des évolutions sociétales.
En misant sur un aménagement hybride, en renforçant les dispositifs de formation (particulièrement autour de l’IA et du numérique) et en instaurant une culture de l’accompagnement, les entreprises peuvent créer une dynamique où la génération Z se sent à la fois soutenue et responsabilisée. Dans cet équilibre, tout le monde est gagnant : la productivité s’améliore, l’innovation s’accroît et la rétention des talents se voit nettement renforcée.
Alors que l’IA continue de transformer le paysage professionnel, l’atout majeur d’une organisation demeure avant tout la qualité de ses ressources humaines. Accueillir la génération Z dans un cadre flexible, formateur et stimulant constitue le meilleur investissement pour préparer l’avenir et accompagner le développement durable de l’entreprise.