L’intelligence artificielle redessine les contours de nombreuses industries, et la fonction RH n’échappe pas à cette transformation. Dans cet entretien exclusif, Hanae BENNANI, DRH d’EQDOM, partage sa vision sur l’intégration de l’IA au sein de la gestion des ressources humaines. EQDOM, précurseur du crédit à la consommation au Maroc, compte un effectif de 300 collaborateurs avec une parité quasi-parfaite homme/femme (52% d’hommes et 48% de femmes). L’entreprise se distingue par une ancienneté moyenne de 18 ans et un âge moyen des employés de 45 ans, reflétant ainsi, une solide expertise métier, une riche expérience interne et un fort engagement des équipes.
En lançant la réflexion sur la mise en place de technologies qui automatisent les tâches répétitives, offrent des solutions innovantes pour le recrutement mais également pour la gestion des talents et l’engagement des collaborateurs, EQDOM s’affirme à l’avant-garde de cette révolution numérique. Hanae BENNANI met en lumière les avantages considérables qu’apporte l’IA, comme l’amélioration de l’efficacité des processus et la libération de temps pour des tâches à plus forte valeur ajoutée. Toutefois, elle n’occulte pas les défis éthiques et réglementaires que cette technologie pose, notamment en matière de protection des données et de lutte contre les biais algorithmiques. Enfin, elle souligne l’importance pour les professionnels RH de cultiver des compétences profondément humaines pour naviguer avec succès dans cette ère de transformation, tout en encourageant une approche proactive pour anticiper les métiers de demain. Découvrez dans cet échange les perspectives d’une DRH résolument tournée vers l’avenir.
Du point de vue stratégique, comment l’intelligence artificielle transforme-t-elle la fonction RH dans votre organisation, et quelles opportunités ou défis majeurs avez-vous identifiés ?
Hanae BENNANI : L’intelligence artificielle est en train de bouleverser tous nos usages au quotidien et la fonction RH ne s’en trouve pas moins concernée. Bien que ce métier soit fortement imprégné d’interactions humaines, l’IA pourrait offrir aux RH un tout nouvel élan et totalement réinventer ce métier historique.
Comme dans d’autres secteurs, l’intelligence RH a été une révolution. Tous les processus concernés en deviennent plus efficaces, les résultats des recrutements plus précis et la satisfaction des collaborateurs renforcée.
L’IA permet d’automatiser un grand nombre de tâches répétitives et de libérer, ainsi, des centaines d’heures de travail pour des activités plus créatrices de valeur, tout en accordant plus d’attention aux détails et en proposant des expériences personnalisées.
L’un des exemples les plus marquants en gains de temps réalisés grâce à l’intelligence artificielle appliquée aux ressources humaines sont les chatbots. Il s’agit d’une solution chargée de répondre aux questions courantes des collaborateurs ou des candidats. Il répond à des questions telles que : quel est mon solde de congés payés, ou quel est le statut de ma candidature ? Les réponses sont fournies en temps réel et sans intervention humaine.
Comment abordez-vous les questions juridiques et éthiques liées à l’utilisation de l’IA en RH, notamment en matière de protection des données et de conformité réglementaire ?
Hanae BENNANI : Si l’IA offre des opportunités extraordinaires, elle n’en demeure pas moins sans risques et nous devons prendre toutes les mesures nécessaires afin de l’utiliser de manière Responsable. L’IA va donc obliger la fonction RH à s’interroger davantage sur les questions éthiques et liées à la conformité.
Au Maroc, en attendant l’adoption de lois spécifiques sur l’IA, nous nous appuyons sur des textes juridiques existants, comme la loi sur la protection des données personnelles, pour encadrer l’utilisation de l’IA et garantir le respect de la vie privée des individus.
Aussi, en nous inspirant de l’IA Act, promulgué par l’Union Européenne afin d’encadrer ses usages et prévenir les risques liés aux biais algorithmiques, à la responsabilité et à la sécurité des personnes, nous devons veiller à mettre en conformité nos entreprises en protégeant les droits fondamentaux, la santé et la sécurité. L’utilisation éthique des données clients & collaborateurs, les préjugés de l’IA et les Deepfakes étant les principaux défis actuels.
Quel est l’impact de l’IA sur l’aspect humain de la fonction RH, en particulier sur l’engagement des collaborateurs et la gestion des talents ?
Hanae BENNANI : Comme je l’ai précisé au début de cette interview, l’IA nous permet, en tant que RH, de nous consacrer à des à des missions plus créatrices de valeur telles que l’attractivité et la fidélisation des talents ou encore, l’amélioration de l’expérience collaborateurs. Tout cela afin de booster les performances globales de l’entreprise.
A titre d’exemple je citerai l’analyse du climat de travail qui peut être améliorée, grâce à des questionnaires QVT, qui offrent la possibilité de repérer les collaborateurs qui sont sur le point de quitter l’entreprise ou de comprendre les phénomènes sociaux au sein de l’organisation. Avec une telle intelligence RH, nous disposerons d’informations actualisées sur les indicateurs qui affectent la productivité, la motivation ou le bien-être. La prise de décision en devient alors plus facile et plus fondée.
L’IA pourrait également être utilisée pour l’évaluation des talents et cela va bien au-delà de l’automatisation. Elle permet une pondération précise des objectifs et des classifications en fonction de différents paramètres (performance, évolution des compétences, etc.). Nous pouvons ainsi trouver plus facilement les meilleurs profils, tant au sein de l’entreprise (analyse des performances versus potentiel) que lors du recrutement.
Comment l’intelligence artificielle influence-t-elle la création de nouveaux métiers ou la disparition de certains postes au sein de votre entreprise, et comment anticipez-vous ces changements ?
Hanae BENNANI : Si l’IA conduit à l’automatisation des processus en réduisant le nombre d’erreurs et augmentant, ainsi, la productivité, elle peut aussi mener à la transformation voire à la disparition de certains métiers existants.
Parallèlement, l’IA favorise la création de nouveaux métiers et de nouvelles compétences notamment en maintenance de systèmes automatisés, en supervision d’algorithmes ou encore en éthique IA & conformité. Attendons-nous également à une explosion de fournisseurs de bots IA, ce qui créera des opportunités pour les cadres dans les domaines de la finance, de la technologie, du marketing et des ventes. Sans oublier le potentiel de renforcement de la demande déjà croissante de Data Scientists.
Pour nous RH, il devient alors primordial de repenser les compétences indispensables pour les forces de travail du futur. Cette réflexion doit porter sur deux axes principaux : les compétences techniques spécialisées en IA et les compétences transverses qui permettent de naviguer dans un environnement technologique en constante évolution.
Aussi, afin d’anticiper tous ces changements et de rester en veille en termes de compétences, il est essentiel d’accompagner les collaborateurs dans le changement. Il s’agit là de réadapter nos stratégies RH afin que l’entreprise demeure compétitive et innovante. Cette conduite de changement nécessite un leadership éclairé et une culture d’entreprise prête à évoluer. Le leadership model doit être empreint d’ouverture, prônant l’innovation et soutenant les équipes en cours de transition. Veille technologique & anticipation des compétences, Développement des compétences & formation continue, promotion de l’apprentissage en situation de travail, flexibilité organisationnelle et promotion d’une culture d’entreprise numérique basée sur une complémentarité Homme-machine sont essentiels pour réussir cette transformation RH.
Quels conseils pratiques donneriez-vous aux autres DRH et managers RH qui envisagent d’intégrer l’IA dans leurs propres organisations ?
Hanae BENNANI : Les liens humains basés sur une intelligence émotionnelle ne peuvent être remplacés par une intelligence artificielle et ce, quelles que soient les avancées dans ce domaine. Il est donc essentiel pour nous, acteurs de la RH, de continuer à défendre la cause des interactions humaines et des Soft Skills au sein de nos organisations. En effet, des qualités humaines telles que la créativité, l’esprit critique, la gestion de projet et la capacité à travailler en équipe sont tout aussi importantes que les compétences techniques liées à la compréhension et à l’exploitation de l’IA.
Par ailleurs, sur un plan purement opérationnel, toute organisation voulant s’aligner avec les innovations numériques doit d’abord évaluer sa maturité numérique actuelle pour mieux apprécier sa capacité à intégrer l’IA ou d’autres technologies. L’entreprise devra se préparer à investir pour acquérir les outils et les compétences nécessaires à cette transformation numérique. La conduite du changement est également cruciale. Cela inclut la préparation des leaders, la définition d’une culture d’entreprise innovante et le développement de stratégies pour accompagner les collaborateurs à travers la transition.
En regardant vers l’avenir, comment voyez-vous le rôle de l’IA dans l’évolution de la fonction RH, et comment les professionnels du secteur peuvent-ils se préparer à ces changements ?
Hanae BENNANI : L’avenir sera empreint d’une forte dose d’imprévus, mais également de belles opportunités. Il faut se préparer pour être en mesure de faire face à ces transformations. Il faut, surtout, miser sur notre plus grande force, ce qui nous rend si singulier, miser sur des compétences profondément humaines.