Ils ont grandi avec l’instabilité économique, la transition numérique et l’hyperconnectivité. Aujourd’hui, les jeunes collaborateurs issus de la génération Z — nés entre 1997 et 2010 — arrivent massivement sur le marché du travail. Dotés d’un esprit entrepreneurial fort, portés par des aspirations profondes à l’épanouissement personnel et professionnel, ils rejettent les modèles de management traditionnels, qu’ils jugent rigides, inefficaces et sources de souffrance. Leur désaffection pour les rôles de management ne relève pas du désintérêt, mais bien d’une lucidité face aux tensions que subissent les managers intermédiaires. Face à cette fracture, les DRH ont un rôle décisif à jouer pour faire évoluer la structure même de l’entreprise.
Le désamour du management n’est pas un rejet de la responsabilité
De plus en plus d’études, en Europe comme en Afrique, montrent une réticence croissante des jeunes à briguer des postes de management. D’après le baromètre 2024 de Deloitte, seuls 32 % des jeunes actifs africains se disent intéressés par des fonctions de supervision d’équipe à court terme. La même tendance est observée au Maroc, où les postes à responsabilités restent vacants faute de candidats motivés. Pourtant, cette génération ne fuit pas l’ambition : elle préfère créer sa propre voie, souvent via l’entrepreneuriat ou des rôles transversaux à fort impact.
Ce paradoxe révèle une aspiration à des formes de leadership plus horizontales, moins centrées sur le contrôle et davantage tournées vers la coopération, le sens et l’impact. Les jeunes ne refusent pas d’être moteurs, mais veulent le faire dans un cadre qui respecte leur équilibre personnel et leur liberté d’action.
Une fonction managériale en perte de sens et de soutiens
Le modèle managérial hérité des années 1990 peine à convaincre : surcharge administrative, injonctions contradictoires, absence d’autonomie réelle… Le middle management est en première ligne, avec un taux de burnout estimé à plus de 65 % dans certaines grandes entreprises africaines selon une étude menée par McKinsey Africa. Ces cadres jouent le rôle d’amortisseurs entre des directions stratégiques souvent déconnectées du terrain et des équipes de plus en plus exigeantes.
Le constat est d’autant plus alarmant que les outils de pilotage RH sont rarement conçus pour soutenir ces profils. Trop souvent, la montée en responsabilités n’est accompagnée ni d’une formation adaptée, ni d’un mentorat structuré. Le management devient alors une promotion empoisonnée, perçue comme un piège plus qu’une opportunité.
Repenser les parcours de leadership pour intégrer la génération Z
L’enjeu pour les DRH n’est pas d’obliger la génération Z à se conformer, mais de transformer les parcours de leadership pour qu’ils soient plus accessibles, plus progressifs et plus humains. Cela implique d’instaurer des paliers intermédiaires — des « rôles tremplins » — où les jeunes peuvent tester la gestion d’un projet ou d’une petite équipe, sans se retrouver d’emblée exposés à la pression complète du management.
Des entreprises marocaines pionnières, comme les groupes de la tech ou certaines PME industrielles de la région de Casablanca, ont commencé à créer des « leadership labs » : des environnements protégés où les jeunes talents expérimentent la prise de décision collective, le feedback constructif et la gestion de la charge émotionnelle. Ces dispositifs favorisent un apprentissage progressif, basé sur la confiance et l’autonomie.
Vers un management allégé, soutenu et valorisé
Il est urgent d’alléger le rôle managérial des tâches qui n’apportent ni valeur ni reconnaissance. L’audit des fonctions support et la mise en place d’outils d’automatisation (comme les plateformes RH intelligentes) permettent déjà à certaines entreprises de redonner du souffle à leurs managers.
Autre levier stratégique : la valorisation du bien-être managérial. Plutôt que de focaliser les KPI RH uniquement sur la performance des équipes, certaines structures intègrent désormais des indicateurs liés à la santé mentale et à la capacité des managers à instaurer un climat de confiance. Ce changement de prisme est encore marginal, mais il pourrait devenir un standard, à condition que les DRH en fassent un axe stratégique.
Enfin, renforcer les réseaux de soutien entre pairs est une piste sous-exploitée. Des programmes de co-développement managérial, à l’instar de ceux lancés récemment dans plusieurs filiales africaines de groupes internationaux (ex : Orange, Managem), permettent de briser l’isolement et d’ancrer des pratiques de leadership plus collectives.
Donner du sens, ou perdre les futurs leaders
La quête de sens est la clé de voûte de cette transformation. Si la génération Z s’implique volontiers dans des projets à impact, elle se détourne de toute mission perçue comme déconnectée de la réalité ou imposée sans dialogue. Les entreprises qui parviennent à retenir leurs jeunes talents sont celles qui relient les objectifs individuels à une vision partagée, explicite et cohérente.
La DRH d’une grande banque panafricaine confiait récemment que ses meilleurs jeunes leaders « ne demandent pas plus de primes, mais plus de clarté sur leur utilité réelle dans la transformation du groupe ». Une exigence de transparence et de cohérence qui impose aux directions RH de renforcer leur rôle stratégique dans la formulation du projet d’entreprise.
Réinventer pour mieux fidéliser
Les DRH africains font aujourd’hui face à un défi générationnel qui dépasse la simple gestion des talents : il s’agit de réinventer les fondations mêmes de l’organisation managériale. Cela suppose de sortir du paradigme de la promotion-sanction pour aller vers des formes de reconnaissance plus fines, plus souples et plus individualisées.
Cette révolution silencieuse est déjà en marche. Mais sa réussite dépendra de la capacité des DRH à traduire les aspirations de la génération Z en dispositifs concrets, soutenus par des dirigeants engagés. Ce n’est qu’à ce prix que les entreprises africaines pourront attirer, développer et retenir une nouvelle génération de leaders capables de conjuguer performance et humanité.