La jeune génération née après 1995 fait de plus en plus sentir sa présence dans les entreprises marocaines. Qualifiés de « digital natives », ces talents exigent un renouveau managérial capable de répondre à des aspirations parfois paradoxales. D’un côté, ils réclament davantage de liberté, d’autonomie et de pouvoir d’initiative. De l’autre, ils recherchent un cadre clair, des repères solides et un manager légitime, prêt à les guider en cas de conflits ou d’incertitudes. Dans un contexte où les organisations s’adaptent à la transformation digitale et culturelle, trouver le juste équilibre entre ces deux pôles constitue un enjeu majeur pour attirer et fidéliser la génération Z.
Le rôle essentiel d’un management moins vertical
Les entreprises marocaines sont loin d’ignorer les bouleversements en cours. Le management « command and control », hérité du début du XXe siècle, s’avère de moins en moins adapté. De nouvelles formes de gouvernance, plus horizontales et collaboratives, commencent à émerger, notamment dans le secteur des nouvelles technologies et des start-up. Ce changement s’inscrit dans un mouvement global, où la hiérarchie traditionnelle s’efface progressivement au profit de modèles agiles.
Pour autant, la génération Z n’exige pas l’abolition complète des niveaux hiérarchiques. Les jeunes interrogés dans plusieurs études s’accordent à reconnaître l’importance de conserver une structure — mais celle-ci doit reposer sur une « autorité de compétence » plutôt que sur une « autorité de fait ». Autrement dit, la légitimité d’un responsable n’est plus uniquement statutaire, elle doit s’appuyer sur sa capacité à trancher, à inspirer et à faire preuve de connaissances concrètes.
Le paradoxe Z : plus d’autonomie, mais aussi plus d’encadrement
Cette nouvelle génération demande plus d’espace pour innover, tout en éprouvant le besoin d’un manager capable de fixer un cap et de prendre des décisions. C’est ici qu’apparaît le grand paradoxe : comment laisser les collaborateurs libres de leurs mouvements tout en leur offrant un pilotage rassurant ?
Certains spécialistes suggèrent de s’inspirer de la pensée chinoise ancestrale, nourrie par le taoïsme, qui pose le principe de complémentarité entre deux polarités a priori opposées. L’objectif consiste à organiser un management qui conjugue autonomie et cadre, verticalité et horizontalité, décision et liberté d’action.
Le « management par le vide encadré » : une piste concrète
Pour répondre à ce double besoin, plusieurs entreprises, au Maroc comme à l’international, expérimentent ce que l’on appelle le « management par le vide encadré ». Cette approche se distingue du « management du trop-plein », basé sur une multitude de procédures, de contrôles et de directives. Au contraire, il s’agit de laisser un « espace libre » suffisamment large pour stimuler l’initiative et la créativité des collaborateurs.
- L’espace libre : Le poste ou la mission n’est pas contraint par des fiches de tâches trop rigides. Les jeunes talents peuvent adapter leur rôle à leurs compétences et à leurs centres d’intérêt, ce qui nourrit leur engagement.
- Des balises claires : La liberté accordée ne doit pas se transformer en abandon ; il importe de fixer des règles de fonctionnement, un cadre éthique, et des objectifs à atteindre. Les managers restent présents pour trancher en cas de dilemme ou de conflit.
- Un soutien continu : L’entreprise met à disposition des ressources et un accompagnement, souvent via un système de coaching interne. Le manager agit en guide, soulage l’équipe de certaines contraintes administratives et apporte une vue globale sur les priorités.
Les bénéfices pour la génération Z et au-delà
Privilégier l’autonomie tout en assurant un encadrement bienveillant répond aux préoccupations majeures des Z :
- Se sentir valorisés : Les jeunes collaborateurs ont la possibilité d’explorer, de créer et d’évoluer dans un environnement moins pesant que le management traditionnel.
- Ne pas être livrés à eux-mêmes : L’accompagnement du manager, qui conseille et tranche lorsque nécessaire, évite le sentiment de dérive ou de solitude.
- Développer la responsabilité et l’esprit d’équipe : Laisser le choix stimule la motivation, mais chacun doit tenir compte d’un collectif et de règles communes.
Contrairement aux idées reçues, ces attentes ne concernent pas uniquement la génération Z. Les collaborateurs plus expérimentés, souvent en quête de sens et d’équilibre, apprécient eux aussi l’idée d’un management moins directif et plus responsabilisant.
Le rôle pivot des RH
Pour faire aboutir ce « management par le vide encadré », les directions des ressources humaines ont un rôle-clé :
- Concevoir des formations au leadership qui mettent en avant la capacité à coacher et à arbitrer plutôt qu’à imposer.
- Repenser les descriptions de poste en laissant place à l’initiative individuelle.
- Miser sur le mentorat : Permettre aux nouveaux entrants de bénéficier de l’expertise et de l’accompagnement de collaborateurs seniors, créant ainsi un échange intergénérationnel bénéfique.
- Privilégier la cohésion d’équipe : L’accent doit être mis sur la collaboration, les projets transverses et le renforcement du lien social dans l’entreprise.
Une opportunité pour transformer la culture d’entreprise
En fin de compte, le management par le vide encadré propose une voie médiane entre la hiérarchie rigide et l’absence totale de structure. En adoptant cette approche, les organisations marocaines peuvent non seulement répondre aux attentes de la génération Z, mais aussi insuffler un nouvel élan à la culture d’entreprise.
La clé réside dans la capacité à faire coexister deux dimensions a priori contradictoires : l’autonomie et le cadre. Loin d’être un simple compromis, cette complémentarité peut dynamiser l’agilité de l’organisation, stimuler la créativité et, au final, renforcer l’engagement de tous, au-delà des barrières générationnelles. Dans un marché du travail en pleine mutation, cette philosophie managériale pourrait bien représenter le pivot d’une compétitivité durable et inclusive.