Les générations cohabitent plus que jamais sur le marché du travail. Baby-boomers, génération X, millennials, génération Z… autant d’étiquettes censées illustrer des différences de mentalité et de mode de fonctionnement. Loin d’être un simple phénomène, cette diversité générationnelle est appelée à s’accentuer : la population vieillit, les carrières s’allongent et le nombre de jeunes entrants diminue. Dans ce contexte, les entreprises qui sauront capitaliser sur la complémentarité entre les âges s’offriront un avantage concurrentiel de taille, tandis que celles qui négligeront cette question verront leur productivité et leur capacité d’innovation menacées.
Des frictions lourdes de conséquences
D’après un rapport récent de Protiviti (2024), un quart des salariés se déclarent peu productifs dans leur poste. Chez les moins de 30 ans (génération Z), cette proportion grimpe même à 37 %. En toile de fond, un constat frappant : lorsque le manager d’un collaborateur a plus de 12 ans de différence d’âge avec lui, le risque de démotivation et d’insatisfaction professionnelle grimpe en flèche. Les salariés concernés sont alors près de 1,5 fois plus enclins à se dire peu productifs, et quasiment trois fois plus susceptibles de se déclarer « extrêmement insatisfaits » de leur travail.
Ces chiffres traduisent une réalité souvent taboue : les tensions entre générations peuvent impacter sérieusement la performance d’une équipe. Au fil des ans, des clichés se sont installés, chacun regardant « l’autre » à travers le prisme de stéréotypes usés. Les plus âgés seraient « déconnectés, réfractaires au changement », tandis que les plus jeunes seraient « capricieux, fainéants, rivés à leurs écrans ». Ce fossé culturel, réel ou fantasmé, mène parfois à de la défiance mutuelle, voire à un climat délétère.
Pourquoi la diversité générationnelle demeure-t-elle sous-exploitée ?
Contrairement à la diversité de genre ou d’origine, le volet générationnel reste encore peu abordé comme un sujet stratégique par nombre de dirigeants. Plusieurs raisons expliquent ce retard :
- Le manque de données précises : les entreprises disposent rarement d’indicateurs solides sur l’âge de leurs effectifs et sur la façon dont différentes générations interagissent.
- La crainte d’une dilution des priorités : certaines organisations redoutent que s’intéresser à la dimension générationnelle puisse minimiser l’attention accordée aux sujets plus médiatisés (parité femmes-hommes, inclusion sociale, handicap, etc.).
- L’usage de labels réducteurs : parler de « Gen Z » ou de « boomers » peut cristalliser des clichés, au lieu de favoriser une valorisation positive des spécificités de chacun.
Dans le même temps, alors qu’un certain nombre d’initiatives RH cible avant tout le « jeune talent », les entreprises en oublient parfois de proposer de véritables parcours de développement adaptés à la pluralité des âges. Résultat : nombreux sont les seniors qui se sentent poussés vers la sortie dès qu’ils passent un certain cap, alors même qu’ils peuvent encore apporter une réelle valeur ajoutée. Du côté des plus jeunes, l’on observe un manque d’accompagnement et de perspectives, alimentant la démotivation et le turn-over.
Des pratiques inclusives pour mieux intégrer chaque génération
Le rapport de Protiviti pointe plusieurs mesures efficaces pour réduire les frictions et doper la productivité :
- Une culture d’entreprise inclusive : cela passe par des valeurs claires et partagées, où chacun peut trouver sa place indépendamment de son âge. Les équipes dirigeantes doivent montrer l’exemple en promouvant le respect mutuel et l’ouverture d’esprit.
- Des managers formés à la diversité d’âges : gérer une équipe intergénérationnelle requiert des compétences spécifiques : adapter sa communication, comprendre les différents modes de motivation et désamorcer les conflits liés aux incompréhensions culturelles.
- Un engagement ferme à recruter, développer et fidéliser toutes les tranches d’âge : les promotions et les opportunités de formation ne devraient jamais être limitées par l’âge. Chacun doit pouvoir évoluer, que l’on ait 25 ou 55 ans.
Lorsque ces bonnes pratiques sont appliquées, l’impact sur la productivité est considérable. Chez les Gen Z, la proportion de salariés se considérant peu productifs diminue presque de moitié, passant de 37 % à 18 %. De surcroît, les collaborateurs, tous âges confondus, se disent plus satisfaits de leur emploi et moins enclins à chercher ailleurs.
Une urgence pour la compétitivité
À l’heure où la concurrence pour attirer et retenir les meilleurs profils n’a jamais été aussi intense, négliger l’inclusion intergénérationnelle revient à se priver d’un vivier de compétences et d’expériences. D’après Protiviti, qui interroge régulièrement des dirigeants, la gestion des talents et la succession figurent dans le top 5 des principaux risques pour l’entreprise.
En d’autres termes, une stratégie RH durable ne peut plus faire l’impasse sur la question de l’âge. Il ne s’agit pas seulement de justice ou de bienveillance, mais bien de performance. Le potentiel innovant d’une équipe mixant différentes générations est immense : chacun peut apporter sa pierre à l’édifice, qu’il s’agisse d’un vaste réseau relationnel, d’une expérience sectorielle solide, d’une agilité numérique ou d’une connaissance fine des tendances émergentes.
Passer de la friction à l’action
Les décideurs ont tout intérêt à se saisir du sujet :
- Faire un état des lieux : disposer d’analyses précises sur la répartition des âges et les points de tension éventuels.
- Soutenir la formation intergénérationnelle : encourager le mentorat inversé (les plus jeunes formant les plus âgés sur le digital) et la transmission d’expertise (les seniors partageant leur savoir-faire).
- Récompenser la collaboration : mettre en avant les succès d’équipes où chaque génération joue un rôle clé. Créer des projets transversaux avec une mixité d’âges est un excellent levier de coopération.
- Évaluer les managers sur leur capacité à intégrer toutes les générations : un bon manager est celui qui sait susciter l’engagement, quel que soit l’âge du collaborateur.
Miser sur l’inclusion intergénérationnelle, c’est valoriser un atout trop souvent sous-exploité. Lorsque l’expérience des seniors se combine à la fraîcheur et à la fougue des plus jeunes, l’organisation devient plus performante et plus résiliente face aux défis d’un monde professionnel en constante mutation. C’est aussi l’assurance d’un environnement de travail respectueux et motivant pour tous, où chaque collaborateur trouve sa juste place.